Chapitre 04:
Au fil des mois, mon enquête s’était considérablement densifiée, en prenant une tournure que je n’aurais jamais imaginé jusqu’alors. Je finissais par croire que ces types étaient plus que de simples mercenaires de l’ordre. Il semblait évident qu’ils avaient reçu des consignes pour « nettoyer » les environs des preuves encombrantes. Qu’est-ce que cela pouvait bien cacher? Un ami, ex-militaire blasé, bossant dans une écurie différente des génies qui avaient sécurisé HydraPharm, m’avait briefé sur deux cas similaires susceptibles de m’intéresser. Même modus opérandi, nuque broyée, la totale. Le premier était le docteur Richard Barkins, un ponte en biologie moléculaire. Le rapport médical mentionnait quatre entailles sur la joue droite. Celui qui l’avait précédé de peu dans la mort était son assistant, Mannheim Guckler. Il arborait cette fois cinq griffures parallèles sur le visage. Et dans les deux cas, se trouvait un ADN inexploitable. Accoudé au comptoir du « Nirvana », les yeux plongés dans le fond de mon verre, miss Whisky me tenait compagnie, en vile tentatrice inassouvie. Elle adorait me voir céder à ses caprices, plier sous sa contrainte. Pas cette fois. J’avais besoin de garder l’esprit clair pour réfléchir, en attendant la visite de ma cliente pour lui faire part de mes avancées. Et aussi parce que je ne manquais pas une occasion pour la voir, prendre de ses nouvelles et discuter de choses moins sombres que cette affaire, comme une bouffée d’air frais que nous nous échangions d’un appel de regard fuyant, du bord des lèvres nouées, afin de mieux supporter les tragédies de nos existences bafouées, avant de se préparer à y sombrer de nouveau. À son départ, je sentis son souffle chaud sur ma nuque lorsqu’elle m’enlaça. L’effet Larsen de mon cœur esseulé me fit tressaillir jusque sur mon trottoir de mort, où seul un linceul de nuances grises et rouges m’étreignait violemment.
J’avais transgressé deux de mes principes durant toute ma carrière civile. Tous les deux le même soir, liés en une promesse inconciliable d’avenirs potentiels. Comme une raclure de fond de chiotte, c’est le plus tenace qui l’emporterait à travers le tourbillon de mon existence. Le plus tenace, et le moins souhaité. Élégance m’avait aveuglé comme un flash dans la nuit. Elle fut passionnée, torride, inoubliable. Je ne pus discerner le piège qui se refermait sur moi. En temps normal, je me serais demandé qui avait pu m’appeler sur mon portable, et comment il avait eu mon numéro. Je n’aurais pas débarqué la fleur au fusil sur un simple « Venez vite, je dois vous parler, c’est urgent » sans un minimum de discrétion ou de préparation. Je ne me doutais pas que les phares de mon insouciance me conduiraient sur une route barrée. J’avais manqué de vigilance. J’allais payer mes erreurs. À mon arrivée, tout foutait déjà le camp. Je ne sus que plus tard le nom de la personne qui m’avait passé ce coup de fil tardif. Pierre Da Silva, expert en morphogénèse, gisait mort dans la salle d’eau de son appartement, avec ses deux égratignures sur le visage. L’ombre se tenait accroupie à son chevet. Soudain, un bruit de vitre brisée précéda un éclat lumineux qui me plongea dans une diaphane obscurité. Une pluie de balles inonda la pièce. Je me jetais désespérément en direction de l’ombre que j’avais aperçue un instant auparavant pour la plaquer au sol, tant pour l’appréhender que pour me protéger des tirs. Je ne pus saisir qu’une partie de son manteau qui se déchira sous l’impact répété des projectiles. J’entendis le bruit d’une porte claquer à l’arrière da la villa. Je le suivis, tandis que je peinais à vaguement distinguer plusieurs silhouettes qui pénétraient prudemment à l’intérieur. Dehors, je ne voyais ma proie nulle part, mais celle-ci saignait suffisamment pour me lancer à sa poursuite. Ici et là, des traces sur une palissade. Toutes disparaîtraient bientôt, que ce soit de la main de mes poursuivants, ou sous les cendres. Dans la traque, des éclairs de déduction se succédaient en surimpression de ma vision floutée, telles des brûlures sur une bobine de film jaunie. Le coup de téléphone, mon arrivée, celle de la sécurité,… le timing était trop parfait. Da Silva devait se sentir menacé. Mais dans ce cas, pourquoi m’appeler ? Quelque chose ne cadrait pas. Je sentais que j’étais dans le collimateur de quelqu’un, et qu’on s’était servi de la victime pour jouer les appâts, histoire de régler plusieurs problèmes en un coup. Cette équipe de nuit n’était pas là pour plaisanter, et je ne devais qu’à dame Chance de m’en être sorti sans trop de casse.
Ma précipitation à vouloir en finir avec cette affaire pour retrouver les bras d’Élégance m’avait conduit là, dans cette ruelle crasseuse que je nettoyais de mon sang. Le tueur se tenait à mes côtés pour recueillir mes derniers instants. Maintenant qu’il était proche, je comprenais pourquoi j’avais du mal à le cerner. À part une musculeuse silhouette, l’individu n’avait aucune caractéristique physique particulière. Aucun tatouage ni piercing. Il était quelconque à tel point, que même en le regardant droit dans les yeux, je n’aurais su dire si ceux-ci étaient verts ou marron. Insondable, il ne dégageait rien. Il me parla, mais j’ignorais ce qu’il avait pu me dire. La mort m’emporta dans son sillage, sous le ronronnement persistant des drones de surveillance qui approchaient.
The end
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