Chapitre 05:
Cela fut difficile à admettre, mais les superproductions américaines avaient depuis longtemps succédé aux films noirs d’antan, entraînant avec elles toute une débauche d’effets spéciaux outranciers dégoulinant de gerbe numérique à travers les yeux du consommateur. Plus longues, mais cependant plus vides, celles-ci avaient donné naissance à une idée intéressante toute simple, censée relancer l’intérêt du public en éveillant une certaine tension narrative jusqu’à la sortie future d’un éventuel film: la scène post-crédit. Très courte, parfois intemporelle, ou même n’ayant aucun rapport de prime abord avec l’intrigue de base, elle venait pourtant s’y greffer comme un délicieux bonbon fondant trop vite en bouche. Voici la mienne dans toute son âpreté.
Je faisais mes distants adieux en silence à la splendeur d’Élégance, celle que nous avions trop brièvement aimé, à travers les dédaigneuses fenêtres de son appartement. Il ne nous restait qu’une cible à abattre pour édenter définitivement les projets secrets de l’armée. Enfin, un en particulier: le projet Chimère. Nous y avions tous participé, d’une manière ou d’une autre. À l’origine, il s’agissait de créer un ADN rétrocompatible avec tous les soldats mutilés au front. Accélérer leur cicatrisation, faire repousser un membre manquant, ce genre d’esbrouffe. Mais il était trop tentant pour nos dirigeants de se prendre pour dieu en donnant naissance à un super esclave, né guerrier, capable de se soigner en quelques heures tout en restant apte au combat sur le terrain, et d’évoluer dans et par le sang, en s’accaparant les gènes d’autrui à la manière d’un vampire. Personne n’avait envisagé que nous développerions aussi une conscience collective bienveillante amalgamée de nos pensées profondes, malgré les mesures brutales employées, tel un enfant traumatisé et maladroit ignorant sa force. J’avais mis des mois après ma mort pour émerger au milieu de cette immensité pensante, des mois pour comprendre ce que la Chimère m’avait dit ce soir-là, et pourquoi cet individu si peu individuel m’avait choisi. « Parmi nos écorchés, ton intuition ne mourra pas ». Mort, aucun de nous ne l’était vraiment. Il s’agissait juste de prémunir les recherches contre tout dérapage, comme un gigantesque coffre-fort cérébral servant à distiller les informations, lorsque les générations futures seraient prêtes à les utiliser à bon escient. Les dossiers avaient été détruits grâce aux compétences d’un hacker de génie, absorbé lui aussi, Alex Spinoza. La presse avait jugé bon de passer sa disparition sous silence, comme tant d’autres, d’ailleurs. Quant à notre dernière cible, le général Franck Durost, éminence grise ayant perverti le projet, un drone de combat issu du marché noir, que j’étais le seul à savoir piloter, l’attendait à la sortie du bureau présidentiel, ainsi qu’un ou deux esprits tortionnaires qui rêvaient de lui mettre la main au collet. Et si vous faisiez l’erreur de penser qu’une torture mentale ne serait jamais aussi efficace que le fer brûlant de la douleur physique, vous seriez gravement dans l’erreur. Imaginez une éternité de tourments parmi nous, privé de l’espoir de toute échappatoire et du luxe du suicide. Existe-t-il punition plus atroce pour celui qui sema au vent les graines d’une guerre européenne aux allures de massacre pour nourrir de pseudo grands idéaux politiques sous les vivas du prosélytisme hypocrite? La zone de non-droit qu’il avait tant cherché à créer impunément le rattraperait inexorablement.
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