Chapitre 01:
…Vivait un prince sans château, se déplaçant de ville en village et de champs en forêts avec son peuple. Ceux-ci n’étaient nullement malheureux, car s’ils pouvaient rendre service à une âme en détresse, ils le faisaient. Ils allaient et venaient à pieds, à cheval ou en charrue, au gré de leurs humeurs, fiers de leur mode de vie basé sur l’entraide et la solidarité. Et bien qu’ils ne possédaient aucune terre, ils les avaient toutes conquises, non par la force et la fureur, mais dans l’art et par la douceur, jusqu’aux plus inaccessibles dans le cœur trop souvent escarpé des hommes.
Un jour, la charitable assemblée immobilisa veaux et chevaux, charrettes et sellettes, pour planter tentes et piquets dans une contrée inexplorée. « Hola, compagnons ! Stoppez les chansons et sonnez le clairon ! Ce soir, c’est ici que nous camperons et festoierons ! », annonça le prince vagabond. Il s’agissait d’une vaste prairie entourée de monts dégarnis, dans laquelle ça et là, les animaux pouvaient librement gambader, nager ou voler. A l’est, on entendait un cours d’eau claire tracer son sillon au creux des vallons pour filer entre bois et buissons, tandis qu’à l’ouest se dessinait au loin les prémices du jour prochain. « Parbleu, nous devons nous hâter, la nuit nous a déjà distancée ! Allumez le feu et laissez-le se consumer ! » Et c’est exactement ce qu’il se passa, tant au sens propre qu’au figuré, même si encore nul ne pouvait en juger. Au matin, les heureux itinérants furent quelque peu décontenancés lorsque, par surprise, ils se constatèrent encerclés par une hargneuse armée de gardes inexpérimentés, mais à la lance effilée.
« -Ne tentez rien d’inutile ! Que venez-vous faire ici, en Hémimundi, pays maudit du roi Minuit ?
-Doucement, mes amis ! Offrez-nous au moins un peu d’air et de répit ! Laissez-moi nous présenter : voici les bonnes gens du royaume itinérant de Salcée. Quant à moi, je suis Valdée, le prince de bonne lignée dirigeant cette joyeuse virée !
-De bonne lignée ? Cela reste encore à prouver. Inventions ou élucubrations, nous ignorons tout des intentions de votre groupuscule ! Qui nous dit que vous n’êtes pas là pour que le régime bascule ?
-Pourquoi voudrions-nous bousculer vos traditions, alors que nous sommes tous en perpétuelle transition ? Non, nous nous contentons de fouler du pied l’herbe sous nos talons, et de remplir nos coupes de vin à foison ! Aussi, si vous comptez nous emprisonner et nous tenir en respect, nous vous en serions reconnaissants, car un gîte et un couvert ne sont jamais à dénigrer. Mais si c’est le sang que vous venez verser, vous seriez mal avisés, car nous avons déjà croisé plus nombreux et moins peureux ! Cela ne serait pas très glorieux… »
Soudain, le prince hurla, gesticula, grimaça un rictus, et les gracieuses armures clinquantes grincèrent. Certains gardes grognèrent en chutant dans un ficus ou une fougère, tandis que d’autres se figèrent, focus. Plus loin en contrebas, les lanciers à cheval s’agitèrent envers sots penauds et poissons fuyant le cours d’eau, pataugeant lourdement dans la tourbe et la boue. « Ah ah ah ! Allons les amis, ne m’en veuillez pas pour si peu ! J’aime eaux de source et ruisseaux autant que vous. Nous vous suivrons où bon vous semblera, à condition que je puisse m’entretenir avec votre bon roi ! » Il fut escorté prestement, sans délicatesse ni sentiment, jusqu’au château ombragé de Noctué, demeure fortuite de l’infortuné régnant Minuit. Aussi luxueuse que lugubre, celle-ci dominait une forêt ferrée de ronces, où seules les chouettes hullulaient, et les insectes pullulaient. « Voici un lieu ma foi fort accueillant », railla Valdée, s’accommodant des toiles d’araignées sur son faciès émacié. Le capitaine de son escorte se rapprocha, et murmura, tout bas: « Fientes et phylloxéra n’étaient pas toujours là… Autrefois, ces bois flamboyants ployaient le respect de ceux qui les découvraient. Mais la malédiction est venue tout changer. Venez, avançons. Quittons vite cette fange et ses environs. »
Tous pressèrent prudemment le pas jusqu’à l’orée déboisée, là où le soleil pouvait timidement percer. « Suintements et suffocations, mais quel sybillin sort subissez-vous ici, mes bons amis? » susurra le prince, interdit. Le regard sinistre des hommes en sa présence lui imposèrent le silence, jusqu’à arriver devant un lac quasi asséché, traversé d’un pont délabré. Celui-ci était barré d’une herse baissée. Valdée leva la tête pour respirer, s’évader de cet endroit vicié. Vue d’ici, l’imposante bâtisse semblait moins sépulcrale, et plus fragile.
« -Halte! Qui va là ?
-Ne me reconnais-tu donc pas, maraud, pour me bloquer séant le passage à mes appartements ? J’en toucherai un mot à ton cousin, tu auras l’esprit moins taquin après quelques corvées et raclées, vil coquin !
-Oh, toutes mes plus plates excuses, Votre Boueuse Seigneurie, mais de mon point de vue, vous ressemblez davantage à une créature des marais qu’à un capitaine des armées de Sa Majesté !
-C’est ça, continue de ricaner. Rira bien qui rira le dernier. En attendant, je suis capitaine et toi soldat. Alors lève la herse ou ta tête tombera ! Et préviens le roi que le prince Valdée des contrées éloignées souhaite le rencontrer. »
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