Chapitre 02:
Le bon roi paraissait froid, mais bien que replet et un brin inquiet à l’idée d’accueillir des étrangers, il était loin d’être un benêt. À la requête du prince, il imposa une quête : « Nous acceptons volontiers de tous vous recevoir et de partager pain et vin, mais il y a une chose que vous devriez savoir. Pour le bien de nos invités sylvains, vous devriez reconsidérer votre demande et passer votre chemin. » Il marqua une pause, comme pour rassembler ses mots. Il lui tint un langage dénué d’ambage. « Notre terreau est victime de tous les maux, et notre eau tue nos animaux. Vous avez déjà dû constater l’état de nos forêts détériorées. Mon peuple souffre, pris entre marais et gouffre. » Il s’écrasa sur son trône et se perdit en pensée, lorsque son interlocuteur s’approcha, avec une réponse à la question qu’il n’avait pas su poser : « Votre majesté, voudriez-vous vraiment nous voir détaler comme des lapins, et vous abandonner à un cruel destin ? Quel peuple mesquin serions-nous si nous tournions le dos à notre prochain ? Parlez sans contrainte et demandez, mon ami. S’il est en mon pouvoir de vous aider, je le ferai, soyez-en certain. »
C’est ici, à ce stade de l’histoire, qu’intervint la douce princesse Nocturne. Fraîche comme une nuit d’été perlée de rosée matinale, elle avait pris place aux côtés de son malheureux père. Son regard de pauvre hère en disait déjà long sur la suite de la conversation. « Voici ma chère fille, Nocturne. Sa beauté, comme vous pouvez en juger, est à la fois la raison de ma vantardise, et l’objet de bien des convoitises. » Il serra les dents, et la jeune femme au teint de lune reprit lentement, de ses grands yeux prune : « Par une nuit d’orage, un homme mystérieux fit son apparition dans les environs. « Il serait sage pour moi de vous demander l’hospitalité, le temps de voir ce fiel céleste se calmer. Je ne serais guère étonné si les cieux menaçaient de s’effondrer », nous avait-t-il lancé. De forte carrure et de belles manières, il avait en apparence tout pour plaire. Et bien qu’il essaya de m’amadouer avec délicatesse par ses actes de noblesse et ses richesses, il n’en fut que plus stupéfait lorsque toutes ses louanges furent ignorées. Je n’y pouvais rien, son regard noir me répugnait. Et au-delà de cela, au fond de moi, il me terrifiait. Les jours pluvieux s’enchaînèrent, et plus ses insistantes avances valsèrent avec le seuil de mon indifférence, moins il ne pouvait réfréner impatience et colère noire. Un soir, alors que je me promenais dans le jardin, je le surpris en plein rituel besognant à dessein. Cierges, symboles, sacrifice, crucifix et langue inconnue, il invoquait un sardonique malin cornu pour obtenir ce dont il était dépourvu. » La nuque de la jeune femme ploya sous le silence, et son pendentif en sardonyx se déroba en offense. De longs filaments de jais constellés de larmes étoilées souillèrent son soyeux visage. Ses paroles finirent en sanglots, qu’elle ravala aussitôt. « Vous comprenez prince Valdée ? Tout est de ma faute ! Comment ai-je pu être aussi sotte… J’ai honni la folie de ce monstre, et nous en payons tous le prix à ma grande honte ! » Alors que le roi consolait sa fille bien-aimée du mieux qu’il pouvait, le prince s’approcha et lui tendit le précieux bijou qui, elle le remarquait enfin, à son cou, s’était défilé. « Vous n’avez rien à vous reprocher. Vous avez agi en accord avec votre cœur devant son ardeur. Qui pourrait vous reprocher d’avoir repoussé un tel possédé ? Que se serait-il passé pour votre peuple si vous aviez consenti à l’épouser ? Il ne serait resté que de semblants de vies misérables et gâchées. Vous vous reprochez votre égoïsme, sans malice je vous le dis, je n’y vois que de l’héroïsme. Vous avez tenu bon en lui imposant un « non », et vous avez eu raison. Mais parlez-moi donc en détail de ce sorcier secondé par son démon familier, et de cette malédiction qui dévore votre éclatante région. » Il souriait de ses mots, et le flot lacrymal s’effaça sur le diaphane visage angélique que la noble princesse arborait. Le roitelet reprit, très tonitruant : « Ce félon faquin… Ce vil gredin… m’a privé de ma bien-aimée Astrée, jadis reine de ces terres désolées. D’un regard elle fut tétanisée, ce fameux soir de cauchemar. A son corps défendant, elle hurla de douleur lorsqu’il plongea la main dans sa poitrine pour en saisir le coeur palpitant. Je l’ai vue une dernière fois terrifiée, juste avant qu’elle ne soit possédée par cette maléfique entité. Cependant, elle ne put accorder son souhait au sorcier, car aucun des sorts qu’elle savait jeter, ne pouvait contraindre dans la durée une aussi forte volonté que celle de ma tendre fille. De plus, les sentiments amoureux lui étaient étrangers. Seuls la terreur et la haine régnaient, là d’où cette chose venait, et seule l’horreur avait pour elle une quelconque valeur. Alors le sorcier eut une autre idée avant de s’envoler : nous dépouiller du bien le plus précieux d’Astrée, une rose nacrée qu’elle avait mis des années à cultiver. »
« -Une rose nacrée ? Qu’est-ce que c’est, grand-mère ?
-C’est comme… Oh, mais regarde-toi ! Tu as l’air tout tremblant sous ta couette ! C’est le passage sur la reine Astrée qui te fait cet effet-là ? Je savais que c’était une mauvaise idée de te faire découvrir ce livre. On devrait arrêter pour ce soir, sinon tu vas faire de mauvais rêves !
-Non, attends mamie ! Je veux connaître la suite ! Je veux savoir si le prince arrive à se débarrasser du vilain sorcier !
-Très bien, alors… Continuons. Mais la suite ne sera pas aisée à écouter, ni pour toi, ni pour Valdée. »
Le courageux prince avait fort à faire. Il n’était pas le premier à s’aventurer sur les traces du sorcier, mais il espérait au fond de lui être le dernier à s’y essayer. Le risque paraissait grand et les chances bien minces, car en plus d’être doté de pouvoirs obscurs, l’immortalité avait embrasé son humanité corrompue. La reine Astrée avait créé la rose nacrée pour pouvoir pousser dans les sols les plus durs et sous les climats les plus rudes, afin de propager la vie dans les lieux qui en étaient dépourvus. Ce noble espoir fut perdu ce fameux soir, et corrompu d’un sort noir lorsqu’il mit la main dessus. Le temps jouant en sa faveur grâce à cette fleur, il n’aurait plus à se contenter d’une seule dulcinée. C’est toute sa lignée qu’il cueillerait, à jamais ! Cependant, même dans les plus insondables abysses, on pouvait parfois tomber, même par erreur, sur une faible lueur venue éclairer le sentier sinueux du voyageur égaré. En effet, Minuit avait révélé à notre aventurier une information, un fait avéré, issue d’une précédente expédition qu’il avait ordonnée contre l’immortel sorcier. Des derniers instants du seul survivant, plus chanceux ou résistant, son point faible fut révélé, et Valdée comptait bien l’exploiter…
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