Prologue:
« -C’est bientôt l’heure d’aller te coucher, Cédric. Tu t’es brossé les dents, poussin ?
-Oui, grand-mère ! Tiens, regarde ! Elles sont toutes blanches !
-Aaah, ne souris pas autant, tu m’éblouis ! Allez, au lit ! Je te rejoins dans un moment. »
Le jeune garçon ne se fit pas prier, car il savait que LE moment qu’il attendait tant approchait. Il sautilla gaiement jusque dans sa chambre, puis en claqua négligemment la porte. Il se mit rapidement en pyjama en jetant ses affaires sur son petit coffre à vêtements, mais l’une d’elles, un T-shirt clair arborant le portrait de Winnie l’ourson, manqua sa cible et tomba sur la chaise juste à côté. Qu’importe, Cédric ne pouvait pas se permettre de perdre une seconde de plus. Il s’enfonça confortablement dans ses couvertures épaisses, et attendit ce qui lui parut être une éternité. Dehors, le ciel nocturne se parait lui aussi de ses plus beaux atours d’hiver effleurant silencieusement le sol. Bientôt, la neige recouvrirait mollement de son épaisseur blanchâtre le petit jardin, en offrant tout un panel de nouveaux jeux à découvrir le moment venu. Le blondinet piaillait d’impatience à cette idée. Comme pour exhorter la journée à s’achever plus rapidement, il héla sa grand-mère : « Ca y est, mamie ! Je suis au lit ! Tu viens ? » Les escaliers craquèrent, et elle arriva enfin au bout d’un certain temps, avec le rythme posé et nonchalant des personnes âgées ayant besoin d’assurer leurs pas. « Voilà, voilà, j’arrive mon petit! Dis-moi, tu es bien impatient aujourd’hui ! C’est notre petite séance de lecture quotidienne qui te fait cet effet-là? » lança-t-elle d’un œil gauguenard. En vérité, elle connaissait très bien l’attrait des plus jeunes pour la neige, et même si d’habitude, quelques pages lues le soir ne deplaisaient jamais à son petit-fils, elle se devait d’accepter de n’être qu’un second rôle lorsque la star immaculée faisait son apparition. Elle étira un long doigt décharné en direction de la bibliothèque, et d’une voix chevrotante, mais chaleureuse que l’on croirait issue d’un gramophone, dit: « Alors, que voudrais-tu que je te lise ? Oliver Twist ? Le chat botté ? » Emmitouflé dans ses couvertures, le petit Cédric secouait négativement la tête, jusqu’à ce que l’index de sa grand-mère pointa un imposant livre massif à la reliure rouge cramoisi. Il se recroquevilla de plaisir, se faisant encore plus menu qu’il ne l’était déjà, alors que ses yeux clairs s’illuminèrent dans la pénombre de la pièce. Ses joues rouges se fendirent d’un sourire coquin. « Oh, celui-ci ? Il n’est pas complètement adapté pour toi… Je ne sais même pas ce qu’il fait ici. Tu es bien sûr de toi ? », dit-elle en une expiration pour chasser la poussière qui recouvrait le précieux ouvrage. L’enfant acquiesça. Elle savait qu’elle ne pouvait rien refuser à cette bouille d’ange. Il avait déjà tellement souffert… L’aïeule, légèrement voûtée, attrapa fermement le bouquin d’une main (une vraie force de la nature, pour une silhouette aussi malingre, n’est-ce pas ?), tout en traînant la chaise de l’autre jusqu’au rebord du lit. Lorsqu’elle s’assit, elle sentit une boule lui courber l’échine dans une position inconfortable. Lorsqu’elle pu s’en saisir, Winnie le farceur lui souriait. Elle jeta un regard de désapprobation au polisson, qui semblait ne plus être qu’un honteux spasme gloussant dans l’estomac de sa couette vivante. La vieille dame ouvrit l’épais bouquin, et tout en s’éclaircissant la voix, en parcourut rapidement les premières pages. « Ah, voici le début ! Nous pouvons commencer. Jadis, en des temps immémoriaux… »
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